Coordonner/gérer une maison de santé, une tâche indispensable et complexe

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Lorsqu’il fût invité à conter à l’auditoire le contexte dans lequel s’étaient créés les réseaux de santé en 1996 dans le cadre des Ordonnances Juppé sur la Sécurité Sociale, le conseiller ministériel expliqua, de manière franche, honnête et directe, à un auditoire ébahi duquel je faisais partie, que les ingénieux créateurs de ces dispositifs innovants avaient envisagés « qu’ils allaient fonctionner tout seul » ; autrement dit, sans ressources humaines dédiées pour les faire fonctionner, sans coordonnateur pour organiser leur gestion interne. Le réseau, comme une entité suspendue, symbole d’une organisation intégrée, souple, positionnée comme méta structure agile au carrefour des autres acteurs du système de santé et sensé les faire inter-agir sans personne pour les gérer ! On sait ce qu’il advint et comment ces dispositifs se sont, à leur apogée, structurés en mini entreprises atteignant parfois, pour les plus importants, une dizaine de salariés avec, bien évidemment, une direction pour organiser tout ce petit monde.

Comme l’Histoire ne bégaie pas, c’est bien connu, et que tout corps ou individu apprend de ses erreurs passées, il est entendu que tout dispositif de coordination/d’exercice coordonné, aussi léger soit-il, nécessite des ressources pour fonctionner. C’est le cas des structures d’exercice de proximité telles que les maisons de santé pluri-professionnelles « MSP » (notons que l’on est sensé parler d’équipes de soins primaires depuis la loi de santé de 2016 mais qu’en pratique on continue à évoquer les « maisons de santé », même d’ailleurs pour des dispositifs « hors les murs »). C’est tellement le cas que l’accord conventionnel interprofessionnel (ACI) créé en 2017, qui liste les actions que ces structures doivent réaliser pour collecter des points, qui sont ensuite convertis en euros, a envisagé une fonction dite « de coordination », impliquant qu’une ressource soit identifiée en interne pour les faire fonctionner, pour assurer leur coordination.

Coordonner une maison de santé, c’est effectivement indispensable pour la faire fonctionner, organiser sa gestion interne. Les tâches à réaliser sont très variées, allant de l’organisation interne basique (prévoir une réunion, rédiger un compte rendu de réunion de coordination pluridisciplinaire, contractualiser avec des prestataires…) à des tâches plus globales de management de projet et des ressources humaines (déployer le projet de santé en lien avec les partenaires extérieurs, faire de la médiation entre les professionnels de santé, gérer les relations avec les acteurs institutionnels…). En pratique, ces actions peuvent être réalisées en interne, soit par un ou plusieurs professionnels qui les assument, sur un temps dédié, en échange d’une rémunération provenant de la CPAM (cf. accord ACI évoqué supra), soit par une ressource externe (prestataire ou salarié), recrutée spécifiquement pour assurer cette fonction. Généralement, au regard de la diversité/complexité des tâches à réaliser, ces ressources ont souvent des profils élevés, diplômés (BAC+5). Des formations spécialisées se sont à cet égard récemment créées en matière de coordination de MSP. Donc, c’est indispensable, mais plutôt complexe, voire très complexe pour les plus importantes d’entre elles et la mobilisation de ressources « couteaux suisses » nécessaire pour conduire la diversité des actions à mener.

En pratique, dans le cadre des missions que nous menons et/ou des échanges que nous avons avec les professionnels de terrain qui exercent en MSP – et même si nous n’avons pas mené d’étude spécifique dédiée sur ce sujet – nous observons que les acteurs de terrain rencontrent souvent des difficultés pour assurer la coordination de leur maison de santé. Ainsi, quel que soit le modèle de coordination choisi en interne, les problématiques rencontrées sont réelles. Dans les MSP en mode « coordination interne », les professionnels qui assurent cette fonction, souvent peu formés pour le faire, ont parfois du mal à s’astreindre à respecter un cadre horaire identifié pour exercer leurs missions et manager un projet de santé. Quand ils y arrivent, il n’est pas rare que leur positionnement par rapport à tout ou partie de leurs collègues soit progressivement modifié, pouvant entraîner des difficultés relationnelles. A l’inverse, les MSP qui ont choisi un mode de « coordination externe » éprouvent des difficultés à recruter des ressources surdiplômées auxquelles elles n’ont souvent, au mieux, qu’un demi-poste à proposer au regard des tâches à effectuer (sauf pour les rares très grosses structures qui peuvent proposer un temps plein). D’ailleurs, quand bien même elles pourraient proposer un poste à temps plein, les ressources en provenance de l’ACI ne permettent pas de le financer – sauf à consacrer quasi entièrement ces ressources au financement de la coordination, ce qui n’est pas souhaitable. La mutualisation d’une ressource inter-MSP n’est possible que si elles se situent dans un même périmètre géographique. Il faut ajouter que dans ce modèle de coordination, la contractualisation avec un prestataire extérieur qui peut mettre une ressource (organisme ou travailleur indépendant) à disposition de la MSP pose également des problèmes (temps de présence pas toujours suffisant, management à distance, ressources pas toujours au niveau…) avec peu d’opérateurs sur le marché à ce stade (la principale structure sur le marché qui proposait cette prestation a fait faillite).

En somme, nous pensons que la fragilité du modèle de coordination des MSP est un problème et qu’il crée une véritable incertitude pour le bon fonctionnement, dans la durée, de ce mode d’organisation des soins de proximité. Cette fragilité est malheureusement largement sous-estimée par les acteurs institutionnels, trop occupés, dans le cadre de la course de sprint dans laquelle ils sont engagés, à accroître consciencieusement – bien évidemment en réponse aux demandes du terrain – le nombre de structures en activité, répondant aux objectifs de la politique de santé. Les statistiques seront probablement respectées et davantage de MSP mailleront demain le territoire. Mais combien d’entre elles, faute d’avoir pu structurer une coordination solide et durable en interne, fonctionneront comme de véritables MSP – et non comme des maisons médicales ou des cabinets de groupe traditionnels –et répondront vraiment au cahier des charges qui leur est fixé, c’est-à-dire déployer un projet de santé répondant aux enjeux des soins primaires et de la prévention et organisant/entretenant un maillage territorial de proximité inter-acteurs ? Sauf à considérer, comme notre optimiste conseiller, que ces structures peuvent s’auto-gérer, il semble indispensable que l’ensemble des acteurs concernés réfléchissent à des solutions pérennes pour que les MSP durent. Et d’inclure dans leur réflexion la question de la coordination des CPTS en création…qui doivent aussi être coordonnées !

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