Lors de la négociation de l’Accord Conventionnel Interprofessionnel (ACI) sur les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS) en 2019, certains syndicats de professionnels de santé ont fustigé la « bureaucratisation » de la profession et qualifié les CPTS, que les pouvoirs publics cherchent à développer, d’« usines à gaz subventionnées ». Certains n’ont ainsi pas signé l’accord.
D’abord, les professionnels qui refusent de s’inscrire dans cette nouvelle dynamique font valoir que ces structures témoignent d’une vision « technocratique » et « hors sol » de l’organisation territoriale des soins en général et de la médecine en particulier. A cet égard, les découpages territoriaux prévus pour la mise en place des CPTS (une CPTS par territoire) seraient arbitraires, façonnés par les Agences Régionales de Santé, sans prise en compte des réalités de terrain et des dynamiques existantes ou au contraire destinés à créer artificiellement des dynamiques pluriprofessionnelles, lorsqu’elles n’existent pas, par le haut.
Ils dénoncent également la création d’une couche supplémentaire dans l’organisation des soins ambulatoires, s’ajoutant à celles qui existent déjà (maisons de santé, centres de santé, plateformes territoriales d’appui, réseaux de santé), créant ainsi une forte complexité tant pour les professionnels de santé que pour les patients dans la mesure où les objets de ces dispositifs sont souvent redondants (coordination des acteurs, accès et continuité des soins, démarches de prévention…). Il en est ainsi des CPTS et des MSP devant toutes les deux développer un « projet de santé de territoire » dont le cadre général souhaité par les financeurs pour qu’ils puissent bénéficier des ACI est assez proche (continuité des soins, missions de santé publiques…).
Par ailleurs, les syndicats craignent une surcharge de tâches administratives des professionnels de santé, déconnectée de l’activité de soins. En effet, l’organisation du processus de décision collective et du travail en équipe, dans des communautés qui pourront compter à terme plusieurs centaines de membres et des acteurs différents (hôpitaux notamment) pourra s’avérer très complexe.
Enfin, l’ensemble de ces complexités sont accrues par le fait que les professionnels de santé qui sont à l’origine de la création de ces dispositifs sont souvent les mêmes que ceux qui ont mis en place des maisons de santé et qu’ils sont ainsi membres de plusieurs structures à la fois sur un même territoire !
Nous considérons que ces arguments, en partie fondés, doivent être pris en compte afin que le déploiement progressif des CPTS soit un succès et suscite une véritable adhésion des professionnels libéraux. Ceci étant rappelé, il faut aussi avoir en tête que, dans la perspective à plus long terme du « virage ambulatoire », l’option des CPTS portée par les pouvoirs publics peut constituer une opportunité pour les professionnels de santé libéraux.
Précisons tout d’abord que les textes sont relativement souples sur l’organisation de la CPTS puisqu’en contrepartie de leur taille importante, ces « communautés » sont en principe juridiquement moins intégrées que les maisons de santé ou les centres de santé. D’une part, une CPTS n’est pas une structure juridique en tant que telle et n’a pas de personnalité morale : c’est un « dispositif » pouvant être porté par une structure juridique, qui peut être déjà existante et peut avoir d’autres objets. D’autre part, à ce jour, il n’est pas imposé aux professionnels de santé de se constituer sous une forme juridique particulière pour recevoir des fonds au titre de l’ACI signé en juin 2019 (contrairement aux maisons de santé qui doivent se constituer sous forme de SISA pour percevoir des fonds) et les projets de CPTS sont constitués très majoritairement sous forme associative.
Ensuite, il nous semble que la mise en place de ces dispositifs qui ont vocation à mailler le territoire selon une logique « rationnelle », avec une définition de territoires ex-ante, est aussi de nature à apporter de la clarté et de la cohérence au terme d’une décennie de création de maisons de santé qui n’ont pas toujours été déployées de manière cohérente, avec des initiatives parfois concurrentes entre territoires proches ou des zones non couvertes, et certaines structures qui ne fonctionnent pas de manière optimale. Quant à la taille importante des CPTS, elle constitue certes un défi, mais qui peut être surmonté si la gouvernance est bien calibrée dans les statuts de la structure porteuse.
Enfin et surtout, les CPTS peuvent constituer une formidable opportunité pour que les professionnels de santé libéraux prennent le leadership de l’organisation des soins ambulatoires, qu’ils s’approprient et construisent cette révolution copernicienne. Au regard des premières expérimentations déployées, il est en effet admis que les libéraux puissent disposer d’une majorité dans la gouvernance des structures qui portent la CPTS et donc faire avancer leur vision de l’organisation des soins et de la coordination du parcours du patient entre la ville et l’hôpital. De même, les CPTS ont vocation à devenir un interlocuteur pour l’ARS et l’hôpital ; les représentants des CPTS seront nécessairement amenés à jouer un rôle qui va s’accroitre. Ainsi, le plan « Ma santé 2022 » prévoit la participation de représentants des CPTS à la commission médicale d’établissement et au conseil de surveillance des hôpitaux de proximité.
En somme, tout l’enjeu de la mise en place de ces dispositifs de coordination visant à mieux structurer le parcours des patients à partir du champ ambulatoire, sera de concilier la nécessaire inscription des actions de santé dans un cadre de proximité et l’organisation « rationnelle » de cette prise en charge à une échelle plus « macro » afin que la CPTS apporte une plus-value aux patients et aux professionnels et ne soit pas une couche supplémentaire rajoutée aux mille-feuille des structures existantes.