Les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), ont été créées par la loi du 26 janvier 2016. Elles fédèrent, dans un cadre associatif, des professionnels de santé du premier et du second recours, des acteurs hospitaliers et médico-sociaux, qui travaillent ensemble sur la base d’un projet de santé, pour une meilleure organisation des parcours des patients sur un territoire. Elles doivent aussi permettre d’améliorer l’exercice des professionnels de santé de ville. L’objectif affiché des pouvoirs publics est, essentiellement, que ces organisations puissent faciliter l’accès aux soins des patients – accès à un médecin traitant, réponse aux demandes de soins non programmée – et participer à une prise en charge coordonnée permettant de prendre le relais de l’hôpital, notamment pour les patients chroniques, et/ou d’éviter des hospitalisations.
Le plan “Ma santé 2022” prévoyait le déploiement de mille CPTS pour “mailler le territoire national à l’horizon 2022“. L’idée, louable, était de couvrir des bassins de population de 20 000 à 100 000 habitants selon les territoires, en vue d’organiser la coopération. Cependant, à l’échéance, on compte mi-2022 environ 250 CPTS qui ont contractualisé un projet de santé avec l’assurance maladie, même si de nombreuses autres sont en projet. Fin 2021, le ministre de la santé déclarait que « nos objectifs ne sont que partiellement atteints, mais la dynamique est lancée, et elle est bonne ». On est cependant donc loin du compte. Et c’est logique.
D’abord parce qu’il faut du temps ; ces dispositifs innovants, portés par un noyau dur de professionnels de santé investis, qui y croient, nécessitent, pour se déployer, d’y consacrer une formidable énergie – sur son temps libre – pour communiquer, informer, persuader et embarquer les acteurs d’un territoire, dont l’immense majorité y est la plupart du temps au mieux indifférente et au pire hostile. Et sauf à constituer des coquilles vides, cette phase de labourage peut s’avérer très longue et pas forcément payante. Ensuite, et ce point est lié au précédent, parce que dans l’ensemble, les professionnels de santé libéraux, et notamment les médecins, sont de moins en moins nombreux, ils sont surchargés de travail, fatigués et pour certains peu enclins à s’investir dans des dispositifs dont ils estiment qu’ils vont leur prendre du temps et générer des contraintes additionnelles qu’ils ne peuvent plus supporter.
Cependant, dans ce contexte tendu, qui n’est pas favorable à la structuration des CPTS, dont l’intérêt n’est pourtant pas discutable, les attentes des pouvoirs publics, c’est-à-dire des agences régionales de santé (ARS) et de l’assurance maladie sont en décalage avec cette réalité de terrain.
D’une part – certes, je force un peu le trait ! – parce qu’elles souhaiteraient que les CPTS obtiennent des résultats concrets avant même d’avoir commencé ; les porteurs doivent en effet péniblement négocier toute une batterie d’indicateurs en lien avec leur projet de santé, devant être atteints annuellement pour obtenir des financements, alors que leur principal souci est de construire une dynamique qui prend du temps. Le projet de santé est une liste, organisée et définie dans un cadre – que l’on peut je pense qualifier d’usine à gaz made in France –, de bonnes intentions pensées par le noyau dur d’acteurs impliqués dans sa définition, mais qui ne peut être concrétisé que si la majorité des professionnels d’un territoire y travaille et y contribue.
D’autre part parce que si les porteurs ont en théorie carte blanche pour proposer des projets qui viennent du terrain, le cadre dans lequel ils s’inscrivent est plutôt contraignant, avec des financements fléchés par thèmes dont certains sont irréalistes : comment faire par exemple pour expliquer à des médecins qui ont accepté de se déplacer dans un groupe de travail, en soirée, pour élaborer le projet de santé de la CPTS, que l’objectif visé est d’accroître leur patientèle de « patients médecin traitant » alors qu’il n’y a plus de médecins et que ceux qui restent travaillent 35h…mais sur deux jours ? C’est ce que le cabinet que je dirige essaye de faire mais ce n’est pas simple ! Les CPTS ne compenseront jamais la principale problématique de la médecine libérale, celle que l’on aurait dû anticiper depuis bien longtemps : la pénurie de médecins généralistes sur de nombreux territoires.
Si l’on veut que les CPTS fonctionnement mieux, que leurs actions puissent être concrètement mises en œuvre dans la durée, visibles, et ne soient pas simplement des organisations de terrain non identifiées mis à part dans le registre comptable des pouvoirs publics, il faut opérer différemment.
Octroyons leur d’abord un budget sur trois ans au lieu d’un actuellement. Gardons le principe des indicateurs mais pas pour conditionner un financement annuel, plutôt comme base d’évaluation de ces dispositifs, permettant d’identifier les actions d’amélioration à mener.
Mettons ensuite le paquet sur leur accompagnement, leur suivi, au moins sur la première année de fonctionnement. Actuellement, les ARS financent le montage des projets, essentiellement par des cabinets conseils afin que les dossiers soient recevables et que le tampon officiel puisse y être apposé. Il serait tout aussi utile, voire plus, d’aider les CPTS au démarrage, pour continuer à mener l’indispensable travail de mobilisation de terrain, de structuration de leurs actions et, surtout, de recrutement des ressources salariées indispensables pour la faire fonctionner. Et là, on touche au maillon faible de ces dispositifs qui peinent, pour certains, à recruter ces ressources de coordination, sorte de mouton à cinq pattes encore plus rare que les médecins généralistes ! Aidons les CPTS à recruter, à mutualiser leurs ressources salariées afin de faciliter leur montée en charge.
Développons enfin les formations à la coordination de ces dispositifs – CPTS, maisons de santé aussi –, elles sont à ce stade trop peu nombreuses et mal identifiées.
Au final, dès lors que l’on estime, à raison, que les CPTS constituent une solution innovante pour concrétiser le virage ambulatoire, renforcer l’accès aux soins et les prises en charge chroniques en ville, il faut faire confiance aux professionnels de santé, mieux flécher les fonds publics pour les aider davantage et inscrire le développement des CPTS dans la durée. Engageons des évaluations sérieuses – mais prévues dès le départ pour qu’elles produisent des résultats –, à trois ans de fonctionnement, pour savoir si les coûts générés par ces aides sont compensés par la réduction des dépenses hospitalières que la montée en puissance des CPTS devrait induire. Et, accessoirement, pour savoir si les patients et les professionnels y trouvent leur compte.