L’épidémie mondiale de Covid 19 auquel notre pays a dû faire face, avec, en première ligne, les professionnels soignants hospitaliers, dont le courage, l’abnégation et le dévouement ne seront jamais assez salués, devrait déboucher sur une réforme d’ampleur de l’hôpital public. Un « plan massif » a été annoncé par le Président de la République, des réflexions et consultations approfondies sont en cours, les professionnels hospitaliers sont au centre des attentions. Les français, dont la santé est devenue, à la faveur du contexte dramatique que nous vivons, une des premières préoccupations alors qu’elle était largement positionnée derrière d’autres priorités dans le monde d’avant, soutiennent massivement cette réforme, qui devrait se traduire par une augmentation historique des moyens pour l’hôpital. Personne n’a en effet compris pourquoi l’Allemagne pouvait déployer deux fois plus de lits de réanimation que nous en plein cœur de l’épidémie et chacun veut que l’hôpital redevienne la vitrine de notre système de santé qu’il était dans les années soixante.
Aussi, toute crise offrant des opportunités, l’épidémie sert de catalyseur à l’aboutissement de revendications hospitalières structurelles légitimes dénonçant une primauté de la logique économique (avec la fameuse tarification à l’activité, les groupements hospitaliers de territoire) et politique (avec le développement des pôles au sein des hôpitaux qui créent des tensions entre direction et soignants), sur le soin, sur la relation patient-soignant. Les politiques d’efficience et de gestion entraînent une perte de sens pour les professionnels hospitaliers qui fuient en masse vers le privé, quand ils le peuvent.
Toutefois, sans connaitre précisément encore le contenu et le périmètre de la prochaine réforme hospitalière, et sans porter de jugement sur les réformes en matière de santé menées depuis une trentaine d’années (donc le monde d’avant) qui ont fait consensus entre tous les partis de gouvernement, il faut rappeler que ces réformes avaient un fil conducteur central qui posait comme principe cardinal que la France avait poussé trop loin sa logique hospitalière, trop centralisée, dans un pays dont la tradition jacobine historique est justement de tout concentrer. On dénonçait « l’hospitalo-centrisme » né après la guerre, un système de santé qui favorisait les CHU au détriment des hôpitaux de proximité et, surtout, des professionnels de santé libéraux ; bref un hôpital replié sur lui-même, créant des « cloisonnements », l’hôpital d’un côté et la ville de l’autre et donc des ruptures de prise en charge pour le patient.
Il fallait changer radicalement, à la fois mieux accompagner le patient, dans une organisation de « parcours de soin » et, quand même – parce que tout à un coût…–, mieux gérer les dépenses (rappelons que la France consacre 11,3 % de son PIB à la santé, la part la plus élevée de l’Union européenne). L’expression qui caractérise certainement le mieux les réformes mises en place, c’est le « virage ambulatoire », c’est-à-dire l’idée que la trajectoire historique hospitalo centrée rectiligne devait être courbée, tordue, pour remettre en avant la médecine de premier recours, la prévention, le dépistage…tous les dispositifs et moyens dont l’objet principal est de favoriser une prise en charge coordonnée entre le secteur ambulatoire et hospitalier et de répondre au développement des maladies chroniques dans une société vieillissante. Les pouvoirs publics ont favorisé ce virage qui s’est notamment traduit par une volonté de mieux structurer, et donc de rendre plus fort, les soins de premiers recours (avec par exemple le développement des maisons de santé pluriprofessionnelles, des forfaits de prise en charge pour les maladies chroniques, des assistants médicaux, des maisons médicales de garde…) et l’articulation ville-hôpital (avec l’essor récent des communautés professionnelles territoriales de santé ou des dispositifs d’appui à la coordination, ex-réseaux de santé, à l’appui de systèmes d’information partagés…). La dernière réforme en santé, « Ma Santé 2022 », date d’il y a seulement un an (un siècle dans le contexte actuel!).
Ce virage est toujours en cours de déploiement – la plaque tectonique est trop lourde pour être courbée agilement et rapidement –, il est loin d’être terminé. Il est pourtant quasi certain que si l’on avait achevé ce processus de transformation de notre système de santé, la France aurait été certainement mieux en mesure de freiner l’épidémie qui a ravagé notre pays, avec des effecteurs de soins en première ligne, avec des moyens (tests, structures légères pour accueillir les malades…), une structuration en réseau pour bien communiquer et réaliser les bon adressages en temps et en heure…autant d’éléments qui ont malheureusement fait cruellement défaut et qui auraient permis de réduire les flux de patients vers les hôpitaux.
Il faut donc certainement réformer l’hôpital public, redonner l’envie et les moyens aux personnels de mieux exercer leur métier, recentrer ce formidable outil sur les soins aux patients, sans perdre de vue que les caisses ne sont pas des puits sans fond, chacun y gagnera. Mais, de grâce, prenons garde que le monde d’après ne casse pas la trajectoire des politiques de santé dessinée depuis quelques années, dont le sens ultime et louable, est de faire travailler ensemble la ville et l’hôpital, chacun dans son rôle, afin que le patient soit mieux soigné. Toute réforme doit donc appréhender le système de santé dans sa globalité et ses différentes dimensions, sans les compartimenter. Faire prendre un autre virage, en sens contraire, au véhicule sanitaire qui n’a pas terminé le virage dans lequel il est engagé, risquerait de lui faire faire une sortie de route. Avec les patients à l’intérieur.